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mercredi 18 juin 2014

Les larmes d'Emma

Emma pleure depuis des heures. Elle piétine les fleurs.
Papa est occupé.Maman est à côté, elle câline le bébé.
Emma compte pour du beurre.

Le ciel est noir. Et le monde, pas toujours rose. Emma
l'arrose, avec vacarme, d'une grosse pluie de larmes. Elle
en remplit des bols et d'énormes casseroles.

- N'en perdons pas une goutte, dit maman en riant. Courons
à la cuisine, cuire les pâtes du dîner et la soupe de bébé.

Emma pleure de plus belle. Rince ainsi la vaisselle. Le poisson tourne
en rond. Vive l'inondation et sa libération ! Bientôt, ça fait des flaques, des
petits lacs. Les pieds nus font flic flac. Les plantes partent en balade, le
petit chat est malade.

Il rouspète. Toute cette eau, il déteste ! Du haut de l'étagère, il surveille Emma
qui ruisselle et la montée des eaux à l'ourlet des rideaux. Papa est agacé :

- Emma, c'est assez ! Regarde mes souliers ! J'ai les pieds tout mouillés.

Emma crie :

- Au secours !

Maman accourt. Elle console et cajole, mais c'est bien trop court. Trois
minutes de bisous, ça ne dure pas longtemps. Ce n'est pas suffisant pour
arrêter le torrent.

On lance un SOS. On appelle le docteur qui arrive sur l'heure.

- Quelle mouche l'a piquée ? Voyons ! Ses larmes sont trop salées. Ne perdez
   pas de temps, donnez donc du sucré à cette pauvre enfant.

Trop tard ! Les montagnes de douceurs n'arrêtent pas le malheur. Un millier
de gâteaux, un million de bonbons sont partis à vau-l'eau. Emma pleure de
plus belle et les vagues s'amoncellent.

Alerte ! C'est le déluge. Vite ! Il faut s'enfuir. Il nous faut un radeau...
Ce sera le lit-bateau. Hisse et ho ! Embarquons sans délai ! Tout le monde
est prêt ? Maman et papa, le bébé et Emma, sans oublier le chat.

Ouf ! Sauvés ! Tous ensemble serrés, sur le même voilier, dans la chaleur
des baisers. Et là, le miracle s'accomplit : Emma sourit ! Elle est guérie.
Finies les larmes, finis les drames. Larguons les amarres ! dans

Au clair de la lune, marins de fortune, on vogue toute la nuit. Le vent dans les
voiles, la tête dans les étoiles, la famille s'assoupit dans un doux clapotis...
C'est comme ci qu'Emma tarit, c'est comme ça qu'Emma chanta.


Diane de Bournazel - Pastel (l'Ecole des loisirs)

Petit chou


Angèle Duboulard prit son sac à provisions et partit au village. La matinée était
très belle mais, comme le vent avait soufflé toute la nuit dans les grands bois, le
sol était entièrement jonché de feuilles, de branches cassées... Et, par terre, il
y avait aussi...

- Oh, mon dieu ! s'écria Angèle. Ce petit oiseau est tombé du nid ! Il va avoir
   besoin de quelqu'un pour s'occuper de lui.

Elle l'enveloppa soigneusement dans son écharpe et l'emporta chez elle. Aussitôt
arrivée, elle lui ajouta un châle et un vieux chandail pour qu'il n'ait pas froid et
qu'il se sente en sécurité. Après quoi, elle l'installa dans un vieux panier d'osier.
Elle lui fit boire du lait chaud à la cuillère.

- Il lui faut un nom, décréta Angèle. Je vais l'appeler Auguste.

Rien n'était trop bon pour auguste. Elle lui donna de la purée de carottes, des
éclairs au chocolat, une forêt-noire, et des boîtes de chocolats assortis. Auguste
mangea tout.

- Mais c'est mon petit chou à moi ! s'exclama Angèle.

Le lendemain matin, Angèle alla acheter une belle poussette toute neuve, avec une
espèce d'ombrelle en cas de soleil ou de pluie. Et tous les matins dès lors, Angèle
emmitouflait soigneusement Auguste pour qu'il n'attrape pas froid et lui faisait
faire le tour du village.

En chemin, ils rencontraient Elise Nicolet et les jumeaux près de la mare aux
canards... Melle Aucassin et ses poupées dans la grand-rue... Edouard et son frère
Gérard, en compagnie de leur chien Wellington, devant la bibliothèque.

A l'épicerie du village, Angèle achetait toujours ce qu'il y avait de meilleur...
Auguste mangeait, mangeait, et chaque jour grossissait un peu plus. Jusqu'au jour
où il fut trop gros pour rentrer dans sa poussette avec tous ces chandails et ces
couvertures pour ne pas attraper froid.

Alors Angèle acheta un abri de jardin tout neuf rien que pour Auguste. Tous
les matins, elle lui apportait un plateau chargé de mets délicieux.

Mais une nuit, il y eut encore une terrible tempête accompagnée de vents très
violents dans les grands bois. Angèle se leva au petit matin, enfila sa robe de
chambre et alla voir comment son petit chou avait passé la nuit. Et que
découvrit-elle ?

L'abri de jardin avait été carrément soufflé par la tempête et, dressé au beau
milieu des chandails, des couvertures et des pots cassés, Auguste battait des
ailes.

Angèle tomba raide évanouie. Auguste la recouvrit soigneusement d'un édredon
à fleurs. Puis, dans un léger grincement d'ailes (dû au manque d'entraînement),
il prit son vol.

Il passa au-dessus du village, au-dessus d'Elise Nicolet et des jumeaux... Et
au-dessus d'Edouard et de son frère Gérard, et ainsi que de leur chien Wellington.
Puis il vola vers les arbres des grands bois, où il se régala de divers insectes et
des restes d'un petit écureuil.

Puis il s'envola haut, très haut dans la ciel bleu. Il monta de plus en plus haut,
se laissant porter par les vents chauds au-dessus des nuages. Très loin tout en bas,
il apercevait Angèle  Duboulard, paisiblement endormie sous son édredon rose
à fleurs, tandis que s'étendaient autour de lui des perspectives infinies ! des
horizons extraordinaires !

Angèle Duboulard mit longtemps à se remettre de ses émotions, mais six mois
plus tard elle avait fait reconstruire son abri de jardin. Elle y commença une
formidable collection de cactus de toutes formes et toutes tailles.

Et, de temps en temps, au moment où elle s'y attend le moins, Auguste apparaît
dans un froissement d'ailes sur le toit de l'abri. Il lui apporte un cadeau : une
souris morte, ou quelque gros insecte.

Angèle ne les mange jamais.


Quentin Blake - Gallimard Jeunesse